Apprendre à honorer ce qui a été
- mandaliayoga
- 1 mars
- 4 min de lecture
Il est des chagrins que l'on tait, des pertes que l'œil extérieur ne perçoit pas, des douleurs silencieuses que le monde ignore. La société ne fait pas place à toutes les douleurs, et laisse ceux qui les vivent dans la solitude émotionnelle, avec leurs deuils invisibles.
Pourtant, les deuils invisibles jalonnent nos vies
Je pense à l'enfant qui déménage. Il est arraché à ses amis, à son école, à son univers familier, il doit s'adapter à un nouveau monde, laissant derrière lui une part de son enfance. On lui dit : "Tu verras, ce sera bien ta nouvelle vie", mais on oublie qu'il laisse là-bas une partie de lui.
Je pense à l'étudiant contraint d'abandonner un rêve. Qu'il s'agisse d'une carrière sportive, d'une vocation artistique ou d'une ambition académique, devoir renoncer à sa passion peut être vécu comme une véritable perte identitaire, un renoncement à ce qui faisait pétiller son être.
Je pense à l'adulte qui met fin à une relation difficile. Même lorsque la séparation est salutaire, elle n'en demeure pas moins douloureuse, car elle implique le deuil des projets, des espoirs et des souvenirs partagés, de la vie commune, et de la personne qu'il était dans cette période de vie.
Je pense à ce parent confronté au syndrome du nid vide. Voir ses enfants partir pour voler de leurs propres ailes, c’est une fierté, mais elle amène un grand vide. Celui du deuil du foyer tel qu’il a été.
Il y a tant d’autres pertes, parfois minimes en apparence, qui pourtant ébranlent profondément.
Une part de nous s’efface, et si elle n’est pas reconnue, elle laisse une empreinte : une tristesse qui refait surface, une colère qui se réactive sans cesse, une anxiété persistante.
La perte est un passage, une transition d’un état à un autre. Pour qu’elle soit apaisée, il est essentiel d’accueillir ce qui a été, de lui donner une place dans notre histoire.
Honorer ce qui a été, même imparfait
Faire son deuil, c’est reconnaître ce qui a existé, même avec ses imperfections.
Chaque être, chaque expérience, chaque relation, chaque rêve abandonné a laissé une empreinte en nous et a contribué à façonner la personne que nous sommes aujourd’hui.
La tristesse est ce fil invisible qui relie le passé au présent. C'est une transition, un passage nécessaire pour intégrer la perte sans s’y enfermer.
Le rôle essentiel des rituels
Dans de nombreuses cultures, cette transition est assurée par les rites de passages et les rituels de deuil. Ils offrent une structure pour exprimer la douleur et amorcer la transition vers un nouvel état.
Cependant, lorsque les deuils sont invisibilisés, ces rituels font défaut, rendant le processus plus difficile.
Traditionnellement, nous allumons des bougies en mémoire d'un défunt pour symboliser l'âme qui perdure, nous participons à des cérémonies commémoratives, nous portons des vêtements de deuil, nous faisons appel au soutien de la communauté.
Alors pourquoi ne pas créer nos propres rituels pour ancrer nos deuils invisibles ?
Des actes symboliques qui engagent nos cœurs à faire une place, à dire oui tu as existé, oui cette relation a compté, oui une partie de mon cœur est restée là bas, oui ce rêve était précieux. Pour reconnaître à la fois l'importance de ce qui a été et la douleur d'en être séparé.
Comme pour beaucoup, ma vie a été ponctuée de pertes de toutes sortes.
Voici les actes symboliques qui m'ont aidée à clore et à honorer, pour avancer sans oublier.
Écrire une lettre, y déposer notre tristesse, nos espoirs, nos partages, nos prières. La lire et la remettre à la nature. La jeter à la mer, l'enterrer, la brûler. Ici à Bali, les éléments eau, terre et feu sont ceux de la transformation, de l'éternel recommencement de la vie.
Créer une œuvre, peindre, sculpter, modeler. Mettre les mains dans la terre pour donner une forme à un bloc d'argile est ce que je préfère, cela nous rend créateurs. Nous donnons forme après avoir vécu la perte, dans un élan de vie qui se renouvelle.
Planter un arbre ou une fleur pour symboliser la continuité de la vie, le renouveau, la mémoire que l'on cultive. Les fruits que l'on récolte, les fleurs qui ornent notre jardin ou notre balcon.
Créer un autel du souvenir, un espace dédié à ce que nous avons perdu : une bougie, une photo, un objet significatif, des fleurs… Un lieu intime et chaleureux où se recueillir.
Faire une marche initiatique, partir seul dans la nature, marcher en conscience, symboliser le passage d’un état à un autre. À chaque pas, laisser s’envoler ce qui doit partir.
Créer un talisman de résilience : Créer un objet de mémoire à partir d'un élément significatif (un pendentif, un bracelet, un bijou, une trousse...) qui représente ce que l’on souhaite garder du passé et le porter avec soi.
Raconter son histoire, y mettre de la créativité : Enregistrer un message vocal ou écrire un récit de cette période de vie en hommage à ce qui a été. L’acte de nommer et raconter apaise l’âme, et fait exister ce qui est parti dans l'invisible.
Offrir un repas symbolique : Préparer un plat qui évoque un souvenir ou une période de vie et le partager avec des proches ou le manger en pleine conscience, dans un moment de gratitude pour ce qui a été.
L'intention, le cœur et la présence que l'on met dans ces actes rituels sont ce qui leur donne leur force de guérison.
Lorsque ces pertes sont passées sous silence, dans l'élan de "tourner la page", une part de nous reste figée, en attente. Ignorer la douleur ne la fait pas disparaître car elle trouvera d’autres chemins pour se manifester, même plusieurs générations après.
C'est en attestant la perte que le deuil peut se faire
En leur accordant une place, en les nommant, ces pertes cessent de peser dans l’ombre et ce qui a été trouve naturellement sa place dans notre histoire.
Parfois, un simple rituel suffit : un geste, une parole, un moment dédié.
Ormesson écrivait « Il y a quelque chose de plus fort que la mort, c'est la présence des absents dans la mémoire des vivants. » Il en va de même pour tout ce qui a compté : ce n’est pas l’oubli qui apaise, mais la reconnaissance de ce qui a été.

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